Les Caractères de la voix dans la musique baroque

Le « chanteur baroque » se doit d’utiliser tous les registres de sa voix

Aujourd’hui, l’une des préoccupations majeures d’un chanteur est l’homogénéité de sa voix. Cet objectif n’est pas justifiable en regard de l’Opéra Baroque.

La recherche des nuances, des contrastes, etc., passe obligatoirement pour un même chanteur par l’utilisation des différents registres de sa voix, car il lui est non seulement permis mais recommandé de « modifier le timbre de sa voix, il fait entendre des sons plus ou moins lugubres, plus ou moins eclatans; il les voile, il les dilate; tantôt il les fait sortir avec force; tantôt il les affoiblit langoureusement. Enfin, il donne des sons mâles et assurés; des sons troublés et entrecoupés. Il fait faire valoir tous les moyens de la prononciation; il double plus ou moins celle-ci, tandis qu’il appuie très-peu sur celle-là; le tout selon le genre et le degré des passions qui l’animent. C’est. dis-je par le concours de toutes ces choses qu’un Acteur Lyrique parvient à intéresser ceux qui l’écoutent; qu’il partage la gloire du Compositeur, que souvent il la lui ravit entièrement » (Boye – 177).

À l’époque baroque, on distingue deux familles de personnages, caractérisées soit par les voix aiguës, soit par les voix graves.

 C’est ainsi que « nos femmes sont toûjours femmes nos basses chantent d’ordinaire les Rois, les Amans en second et méprisés, les Magiciens, les Heros graves et un peu vieux, etc. et nos tailles et nos hautes-contre, sont les Heros jeunes, galans, et qui doivent être aimés; les Dieux amoureux et gais, etc » (Chabanon – 1785).
Le caractère d’une Scène ou d’un Air est conçu sur des modèles que l’on retrouve dans la plupart des Tragédies Lyriques. Les voix de femmes, les hautes-contre et les tailles « rendront avec plus de vérité que les voix graves, le chant des oiseaux, la légèreté des zéphirs, le gazouillement des eaux; et des passions et les sentimens qui ont une expression éclatante, comme l’allégresse, la surprise, etc. D’un autre côté les voix graves, savoir, les basses-tailles, les concordants, les basses-contre ont des nuances sombres et vigoureuses, qui seront plus analogues que les voix aigues aux expressions de la fureur, de la vengeance, de l’horreur, des chants bacchiques, etc. » (Rémond de Saint Albine – 1747).

Extrait de « Traité de Chant et Mise en scène Baroques » – Michel Verschaeve – Zurfluh 1997

 Michel Verschaeve : Traité de chant et mise en scène baroques

Les qualités d’un bon chanteur à l’époque baroque

« On demande d’un bon Chanteur, qu’il ait la voix claire, nette &égale par tous les tons, depuis en bas jusqu’en haut, qu’elle n’ait point de défauts qui viennent du nez & du gozier, & ne soit ni rauque ni sourde. Ce n’est que la voix & l’orage des paroles, qui donnent la préférence aux chanteurs sur les joueurs d’instrument. De plus on demande qu’un bon Chanteur sache joindre le Fausset à la voix de poitrine, de manière qu’on ne s’apperçoive point, par la où la derniere finit & la premiere commence; qu’il ait l’oreille bonne & l’intonation nette, pour donner tous les tons dans leur juste proportion; qu’il sache porter la voix (il poramento di voce) d’une maniere agréable; que par conséquent sa voix soit ferme & assurée & que dans une Tenuë un peu longue il ne se mette point à trembler, ni à changer en le bruit dèsagréable d’une Flute d’oignon, le son agréable de la voix humaine; ce qui arrive assez souvent, surtout à des Chanteurs qui ont de l’habileté dans les vitesses. On demande encore d’un bon Chanteur qu’il fasse bien le tremblement, lequel ne doit être ni chevroté, ni trop lent ni trop vite, & le Chanteur doit bien observer la juste étenduë des tons dont le tremblement est composé, pour qu’on puisse distinguer, si ce font des Demitons ou des tons entiers.
Un bon Chanteur aura aussi une bonne prononciation. Il doit exprimer distinctement les paroles, & ne point prononcer dans les passages les voyelles a, e & o d’une même maniere; il les rendrait par là indistinctes. Quand il fait aussi un agrément sur une voyelle, il faut qu’il donne à entendre jusqu’à la fin toujours la même voyelle, & non pas en même tems une autre. Il prendra également garde, à ne pas confondre les voyelles dans la prononciation des paroles, & à ne pas changer e en a & o en u; p e. en_ prononçant dans l’Italien Genitura au lieu de Genitore_; il feroit bien rire ceux qui entendent la langue. La voix ne doit rien perdre sur i & u; & il ne faut point sur ces deux voyelles, faire des agrémens dans des tons hauts, ni en faire des longs dans des tons bas. Un bon Chanteur doit être habile, à lire les notes & à entonner juste les tons; de même qu’il doit entendre les régles de la Basse continuë. Il ne faut point qu’il exprime les tons hauts d’une maniere rude, ni qu’il les pousse avec véhémence de la poitrine, & encore moins qu’il semble hurler; ce qui change l’agrément humaine en cris de bêtes. Lorsque les paroles demandent qu’il exprime de certaines passions, il s’appliquera de reléver & de moderer la voix à propos & sans affectation. Il ne mettra pas dans une piéce triste tant de tremblemens & de roulemens que: dans une piéce chantante & gaye; car la beauté d’une melodie est par là souvent obscurcie & détruite.Il faut qu’il chante l’Adagio d’une maniere touchante, expressive, flatteuse. agréable, suivie, soutenuë, & qu’il mette partout du clair & de l’obscur, tant par le Piano & le Forte que par une addition raisonnable d’agrémens qui conviennent aux paroles & à la mélodie. Pour l’Allegro il doit l’exécuter vivement, brillamment & aisément.Il faut qu’il rende les paff’ages rondement & ne les pousse pas trop rudement, ni ne les traine d’une maniere paresseuse & nonchalente. Il doit savoir moderer le ton de la voix depuis en bas jusqu’en haut, & disitinguer bien entre le Théatre & la Chambre, & entre un Accompagnement fort & foible, pour que le chant dans les hauts tons nedégénere pas en une criaillerie.Il doit être assuré dans le mouvement, & ne point presser ni retarder la mesure, surtout dans les passages. Il prendra haleine à tems & avec vitesse, & au cas que cela lui fut quelque fois penible, il le cachera autant qu’il se peut. & perdra encore moins pour cela la mesure. Enfin il tachera de puiser dans lui – même ce qu’il met d’ornemens, & il ne les apprendra pas des autres par l’ouï, comme un simple perroquet: qui ne sçait que les mots que lui a appris son maitre.

Un Dessus & une Taille peuvent employer plus d’ornemens qu’une Haute – Contre & une Basse. A ces derniers il convient mieux de chanter avec une noble simplicité, de bien porter la voix, & de faire usage de la voix de poitrine, que d’aller dans les tons trop hauts & d’ajouter beaucoup d’agrémens. C’est la régle des bons Chanteurs, qu’ils ont suivie & exécutée dans tous tems. »

Extrait de : Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la Flute traversiere, avec plusieurs remarques pour sevir au bon gout dans la musique le tout eclairci par des exemples et par XXIV tailles douces par Jean Joachim Quantz Musicien de la chambre de sa majesté le Roi de Prusse à Berlin chez Chretien frederic Voss 1752